Rose eut l’idée d’offrir à la loterie quelques invendus de l’hiver
dernier. Elle pourrait aussi composer un pouf « À l’orphelin » :
un bonnet décoré d’angelots en carton.
- Faites donc plutôt un pouf « À la farine », lui conseilla Léonard,
c’est le thème de la semaine.
Avec un petit moulin et un petit âne qui apporte les sacs de blé.
- Bonne idée. Vous poserez pour le petit âne.
Elle contemplait une rayure immaculée brillante, dorée.
Là où la
peinture couleur pierre avait sauté, c’était du métal qu’on voyait apparaître.
La modiste dénoua son châle et en enveloppa leur mystérieuse acquisition. Nul
ne devait savoir qu’ils se promenaient en pleine rue, sans escorte, avec un
énorme bloc d’or massif.
- Je ne crois pas que nous ayons perdu quinze livres, je crois que nous en
avons gagné beaucoup plus.
« Beaucoup plus d’ennuis » aurait été
l’expression juste.
- Soyons prudents, dit Léonard, Johnson est peut-être là !
- Vous avez raison, répondit Rose. Passez devant.
Le reste du logement était moins coquet, le désordre régnait. Des chaises
étaient renversées comme si l’on s’était battu. Léonard fut choqué de visiter
un lieu encore moins bien rangé que sa propre chambre.
- Dites donc, elle ne fait pas souvent le ménage, la baderne qui vit ici !
- En effet, dit Rose. Elle laisse même trainer son cadavre sur le tapis.
En revanche, on y parlait à mots couverts du décès d’Algernon Johnson,
présenté comme « un malheureux accident survenu à un brillant diplomate
étranger », ce que tout le monde traduisait par « un assassinat
politique qui risquait d’enflammer la guerre larvée entre la France et
l’Angleterre ». Toute la finesse des rédacteurs était dans le choix
d’expressions allusives. Les lecteurs avertis devineraient le reste. « Un
décès sans cause apparente » signifiait « les autorités vous
mentent », tandis que « personne n’a été inquiété » voulait dire
« la police patauge dans la mélasse ».
Léonard se demanda s’il n’aurait pas mieux fait de persévérer dans la
chirurgie. Voilà qui était une profession d’avenir ! Saigner les gens au
bras était plus facile que de choucrouter les marquises et ça ne prenait que
cinq minutes.
En prime, il aurait peut-être eu un jour la chance de diriger
l’autopsie de la modiste.
- Bon sang, vous vous dépêchez, palantin ? lui lança-t-elle.
Il la regarda retirer de leur voiture ses innombrables cartons à chapeau et ses
paniers d’échantillons.
La perspective d’avoir un jour à élucider la cause de
son décès était certainement ce qui le motivait le plus pour continuer
d’enquêter avec elle. Un jour, c’est sûr, on lui ordonnerait de chercher
l’assassin de Rose Bertin. Et il savait d’avance qui serait le coupable. Ce
serait lui.
Précédent
Suivant
« Pas de répit pour la reine », Frédéric
Lenormand n’en laisse vraiment pas à ses deux enquêteurs si mal assortis :
la modiste Rose Bertin et le coiffeur Léonard, pour retrouver un trésor caché
des Incas. Un trésor maudit qui sème la mort à qui s’en approche.
Il faut faire vite… Pas de répit pour nous, lecteurs, non plus !
Bien sûr, ce n'est pas de la grande Histoire, mais ce polar historique complètement déjanté nous offre quelques détails pertinents susceptibles de piquer notre curiosité.
C’est si mouvementé, drôle et bien tourné qu’on ne peut que savourer un bon
moment de détente à la lecture de ce roman. Comme dans le premier tome (voir L'enquête du Barry), on assiste aux joutes verbales burlesques et cocasses de nos deux sympathiques et antagonistes héros.
À bientôt le troisième tome de
cette série ?
JE RETIENS: Un excellent moment de pur divertissement!
J'OUBLIE: Rien.
Le saviez-vous?
Je cite Frédéric Lenormand:
« La générale lui expliqua comment reconnaitre à
coup sûr un modèle de chez eux : ils portaient une petite broderie en
forme de griffe d’oiseau du paradis – ils étaient « griffés ». »
À mon avis, c’est une version romancée par Frédéric Lenormand, car je n’en ai
pas trouvé trace sur Internet :
« Par association d’idées avec les griffes
acérées des félins ou des rapaces, capables de rayer.
Au Moyen Âge, ce terme désignait des sortes de
poinçons métalliques permettant d’imprimer la signature de l’éditeur en creux
dans le vélin de la couverture des livres. Cette griffe garantissait ainsi
l’authenticité du contenu de l’œuvre. Avec le développement de la haute couture
vers le milieu du XIXe siècle, les couturiers ont eu l’idée de coudre sur leurs
vêtements une étiquette sur laquelle était reproduite leur signature. Cette
pièce a pris le nom de « griffe » par analogie, puisqu’elle assure
l’authenticité d’une création. »
(Oups! Je n'ai pas noté ma source...)
Retour à la page d'accueil
Retour à la liste des livres historiques