François, 82 ans, ancien reporter de guerre, vient
d’apprendre que son petit-fils Antoine file du mauvais coton : non
seulement, il ne veut plus passer son bac, mais il a quitté le domicile
maternel pour loger chez un copain.
François, qui n’a que peu de contacts avec cet
adolescent, décide de l’attendre à la sortie de son bahut, au volant de son
antique Volvo P1800.
Mû par une soudaine impulsion, il propose un époustouflant challenge au jeune
homme : accompagner son grand-père dans un road-trip de 48 h, et décider
ensuite de soit poursuivre ses études, soit empocher une somme rondelette.
Le choix d’Antoine est vite fait. Il ne s’attendait toutefois pas à ce que Papi balance son smartphone par la fenêtre de la Volvo, en beau milieu de l’autoroute ; et encore moins à se rendre à Villefranche de Rouergue, ville natale de François.
Ce voyage est en fait l’occasion pour le vieil homme de renouer avec le passé, et plus particulièrement affronter la culpabilité qu’il éprouve depuis l’exécution de son ami d’enfance, Jean, pendant la seconde guerre mondiale.
Les non-dits sont le thème principal de cette très belle histoire, d’où le titre infiniment bien attribué « A la mesure de nos silences ». Son auteure, Sophie Loubière, confirme encore une fois son immense talent de conteuse et sa capacité à nous rendre ses personnages tellement attachants, autant par leur fragilité, leur tendresse, que par leur obstination, leur mutisme.
Ce périple intergénérationnel combine deux
récits : le début d’une réelle complicité qui s’instaure bon gré, mal gré
entre le grand-père et son petit-fils, mais aussi un drame initié en 1939,
alors que François et Jean étaient enfants. On y apprend un fait méconnu
relatant la révolte dans l’Aveyron d’un bataillon SS, composé de militaires
croates musulmans.
Cet aspect historique apporte une dimension supplémentaire à la narration.
Je regrette toutefois que le duo formé par François et Antoine éclipse tous les autres membres de la famille. Je comprends que l’auteure veuille réduire le fil conducteur à ces deux protagonistes, mais dans ce cas, les interventions du père d’Antoine et de la femme de François à la fin de l’aventure me laissent perplexe. Encore des silences qui laissent un goût d’amertume.
JE RETIENS: Un magnifique pan de l'Histoire relaté par une auteure de grand talent dans une romance empreinte d'authenticité.
J'OUBLIE: Une fin légèrement décevante, mais pouvait-il en être autrement?
Le saviez-vous?
En février 1943, l’armée allemande crée la 13ème division SS.
Cette division comptait essentiellement des recrues venues de l’État indépendant de Croatie. Les recrues spontanées étant peu nombreuses, l’armée allemande applique alors des razzias chez les hommes nés entre 1917 et 1925.
La plupart d’entre eux n’ont pas plus de 20 ans.
À la fin du mois d’août 1943, un bataillon composé de près de 1000 hommes est envoyé à Villefranche-de-Rouergue pour y réaliser des manœuvres d’entrainement.
Parmi ces hommes, on trouve principalement des Croates chrétiens et des Croates musulmans (ou “Bosniaques” selon la terminologie actuelle).
Impuissants mais solidaires, les Villefranchois sont les témoins des mauvais traitements infligés à ces jeunes “malgré-nous” : exercices épuisants, brimades, coups de botte, “dressage” d’une brutalité inouïe et propos racistes, à tel point que la population, indignée, se prend, malgré leurs uniformes SS, de pitié pour eux et apprend très vite qu’il ne s’agit pas de volontaires, mais de jeunes enrôlés de force.
Face aux brimades, humiliations et autres souffrances, l’idée d’une révolte fait son chemin parmi les jeunes recrues. Un plan se prépare dans le plus grand secret.
Déjà, le 16 septembre 1943, quelques soldats désertent.
Au matin du 17 septembre 1943, les Villefranchois sont réveillés par des bruits de fusillade : la révolte a débuté. Les mutins ont pris le contrôle de l’armurerie dans la nuit et se sont emparés de plusieurs officiers allemands qui logeaient à l’Hôtel Moderne (promenade du Guiraudet), avant de les exécuter.
Le 18 septembre vers 4h00 du matin, la riposte allemande s’organise et de nouveaux coups de feu se font entendre dans la ville.
Au petit matin, des renforts allemands arrivent à Villefranche. Une véritable chasse à l’homme s’organise dans les rues de la cité.
La répression est d’une cruauté incroyable. La plupart des mutins sont rattrapés et abattus. Ceux que les Allemands réussissent à capturer sont ramenés en ville, sur le lieu de la révolte. Ils sont torturés et jugés sommairement.
Officiellement, une vingtaine sont condamnés à mort (en réalité beaucoup plus) et emmenés sur un terrain du quartier Sainte-Marguerite, au nord de la ville, pour y être exécutés. Ils sont dans un tel état que leurs bourreaux, pendant ce transfert, leur couvrent la tête d’un sac pour les cacher aux yeux de la population.
Ce sont les autres soldats du bataillon qui sont contraints de fusiller les condamnés au fusil-mitrailleur, dans des conditions particulièrement sadiques, puis de les jeter dans une fosse.
Au final, plus d’une trentaine de mutins sont abattus dans la ville, et près d’une centaine sont exécutés au champ des martyrs, soit environ 120 morts, sans compter les déportés qui ne reviendront pas des camps.